mercredi 5 août 2015

Vikings, la série, les dieux

La série Vikings a fait parler d'elle lors de l'annonce de sa sortie, c'est à dire en 2012 (?). Prévue sur la chaîne Histoire, elle se présentait comme une série historique relatant la vie, les aventures et les croyances des scandinaves pendant la période viking (en l’occurrence au VIIIe siècle après J.C.), à travers l'histoire du grand Ragnar Loðbrok, gendre de Brunnhilde (Brynhildr) et Siegfried (Sigurðr) du fameux opéra de Wagner. J'ai pu visionner il y quelques jours la première saison de cette série (2013), à l'aune de nos connaissances actuelles sur l'Àsatrù. Je ne m'exprimerai donc pas sur la rigueur historique quand aux événements à l'échelle humaine, ni sur les personnages principaux en eux-même. La série reste une fiction et elle est également appréciable en soi.

Tout d'abord, un point sur la vie spirituelle des vikings en cette période. Les scandinaves suivent les traditions qui ont émergé chez les peuples germains du continent, avant leur conquête du Nord de l'Europe. En effet, bien que la majorité des sources historiques nous proviennent de Norvège-Suède-Danemark-Islande, les croyances nordiques (autrement appelées germaniques à juste titre donc) ont laissé des traces dans toute l'Europe continentale, y compris la France, sous la forme entre autres d'inscriptions runiques (alphabet profane et magique). Il faut également comprendre que ces croyances ont des origines communes avec le reste des cultes européens (celte, romain, grec, pour les plus connus) et asiatique (mésopotamien, indien, perse) car toutes ces peuplades sont caractérisées par leur origine commune dite «indo-européenne». Il en résulte également des similitudes entre le latin, le grec ancien, le proto-norrois, et le sanskrit («æsir», le nom des dieux majeurs vient de «asu» en Sanskrit, souffle vital). Il est donc intéressant d'étudier les croyances nordiques à l'aune des textes mythologiques propres autres régions européennes.

(spoilers à venir)
Nous parlons beaucoup de «croyance», «mythologie» et «tradition» car les scandinaves n'ont pas de religion à proprement parler. Ils n'ont pas de prophète, pas de texte sacré (Snorri Sturluson a mis sur papier les croyances à la fin de l'ère viking), pas de clergé, pas de pêché ni de baptême ou de dogme. Les dieux y sont vus comme des amis, ou de lointains ancêtres (perspective évhémèriste) vers qui l'on se tourne lors d’événements importants. En cela, la série Vikings s'en sort bien. On y voit les personnages prier leur dieu tutélaire à chaque épreuve importante (combat singulier, épidémie (þor), naissance, etc) plutôt qu'à dates et heures fixes comme le font les chrétiens (Messe du Dimanche matin, bénédiction de la table). Le temple d'Uppsalir est également bien représenté, avec sa triade (que l'on retrouve chez les Celtes) de dieux : Oðin, þor & Freyr, ce dernier apparemment dépourvu de ses attributs phalliques à l'écran. Uppsalir était réellement un des plus grand temples de la région et hommes & femmes s'y rendaient lors d'occasions importantes pour y prier et déposer des offrandes. On peut par contre s'interroger sur la familiarité qu'ont les nordiques de la série avec la notion de prêtre (en parlant du moine chrétien), car toutes les tâches religieuses étaient accomplies par des laïcs. Il n'existait pas de castes de prêtres chez eux.

Thor contre les géants
L'Àsatrù (terme global désignant «le culte des dieux Ases», inventé par commodité, bien plus tardivement) ne connaît ni Bien, ni Mal. Encore une différence avec la chrétienté qui est bien représentée dans la série. Seuls les concepts d'Ordre et de Chaos existent et s'opposent sur les terres des Hommes (Miðgarðr), des dieux (Asgarðr, l'Ordre) et des Géants (Jötunheimr, le Chaos). Oðin, dieu de la création, ne se soucie pas d'administrer et encore moins de faire régler l'Ordre sur Miðgarðr. C'est un dieu volage et polymorphe, qui privilégie la ruse et la magie à la justice et la force, ces deux derniers attributs étant respectivement réservés à Tyr et à Þor, vers qui les Hommes se tournent bien plus volontiers en cas de coup dur. Þor, le dieu au marteau Mjöllnir, représente la force brute et la fureur des Ases. Il combat perpétuellement les Trolls (Géants) de Jötunheimr en faisant tomber la foudre grâce à son marteau. C'est d'ailleurs à ceci que les Hommes attribuent l'origine du tonnerre sur Terre, mais cette interprétation n'est pas exclusive, en effet lors de la tempête en mer du début de la série, les personnages parlent de «Þor frappant son enclume». Cette interprétation reste correcte sachant que les Ases et Vanes (dieux mineurs) sont connus pour frapper le fer eux-mêmes pour fabriquer leurs objets du quotidien, bien que moins habiles que les Nains dans ce domaine.


Freyja, une Vane, est plus appréciée des femmes car elle représente bien plus spontanément la fécondité et l'amour. Cependant il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives en la comparant à Vénus/Aphrodite. Freyja est également une féroce guerrière et une magicienne redoutable, bien qu'utilisant la magie mineure, le sejdr, contrairement au galdr, majeure, d'Oðin. Oðin et Freyja ont un deuxième point commun : ils ont un appétit sexuel insatiable. En effet Oðin, tel un Zeus olympien, multiplie les conquêtes chez les déesses, les humaines et même les géantes. Il aime se métamorphoser afin de tromper ses adversaires, plutôt compagnons de jeu dans ce cas-là. C'est un passe-temps qui en fait un dieu étonnamment féminin, par opposition à son fils Þor qui représente des attributs masculins à travers Mjöllnir, symbole phallique. On ne sait pas si c'est la frivolité d'Oðin qui a influencé les mœurs scandinaves ou l'inverse, toujours est-il que la série Vikings a tapé dans le mille à ce sujet. Sans aller dans la démesure incestueuse ou perverse d'un Game of Thrones, Vikings dépeint avec exactitude les pratiques sexuelles de l'époque. Les femmes acceptent volontiers dans leur lit des amis de leurs maris, même si le contraire n'est pas montré.

Pour en revenir à Oðin, on peut également citer deux de ses attributs qui ont, ou auraient leur place dans la série. Ce sont ses corbeaux et les runes.
Oðin possède de multiples animaux aux fonctions diverses, le plus réputé étant son cheval à huit pattes Sleipnir, fils de Loki, qui lui permet d'arpenter le monde. Mais il dispose également de deux corbeaux nommés Huginn (pensée) et Muninn (mémoire). Le personnage au centre de l'histoire (Ragnar), se trouve également au centre des interactions avec les dieux (parmi eux Loki sur qui l'on reviendra plus tard). Il reçoit fréquemment la visite d'un corbeau, qu'il voit comme un signe des dieux, notamment d'Oðin. Il est difficile de déterminer s'il s'agit de Huginn, de Muninn, ou d'Oðin lui-même, car comme nous l'avons vu c'est un fervent pratiquant de la métamorphose (humaine et animale). En ce sens, Oðin est également hautement chamanique. La transe des chamans est en effet un moyen de communiquer avec le monde des esprits en empruntant un canal, parfois un tronc d'arbre, à rapprocher d'Yggdrasill l'arbre monde aussi appelé «le coursier d'Oðin». Le chaman s'incarne généralement dans un esprit animal (oiseau, ours, loup, caribou) qui lui permet de voyager sur de longues distances et d'acquérir la connaissance du monde de l'invisible. Yggdrasill est justement représenté dans l'histoire de la série. Il existe un arbre géant que les Hommes vont visiter en raison de sa nature magique : il ne perd jamais ses feuilles. Il est évident que ces visites ont des airs de pèlerinage chamanique. L'arbre monde est un arbre mystique qui puise ses racines dans les différents mondes qui composent l'univers, autrement dit un canal reliant plusieurs niveaux de réalité.

FEOH, la richesse
Le second attribut d'Oðin, qui lui aurait dû être présent dans la série Vikings, sont les runes. Oðin s'est pendu à Yggdrasill pendant neuf jours et neuf nuits pour acquérir la connaissance des runes (le 9 est extrêmement important dans la mythologie et dans la vie des scandinaves, chose bien représentée dans la série). L'alphabet runique (fuþark, selon ses six premières lettres) est l'alphabet utilisé par les germains et les scandinaves à l'époque viking. Il est utilisé pour des fonctions profanes (actes de propriété, message personnels) mais également magiques (sorts de protection, malédiction et de séduction). Les scandinaves les utilisaient au quotidien en les gravant sur du des objets courants, des arbres, des pendentifs ou des armes. Malheureusement ce pan entier de la culture viking se retrouve absent de la saison une. (correction ici : Vikings, deuxième partie)


Cependant, il faut reconnaître l'omniprésence dans l’œuvre d'un autre concept très cher aux nordiques : le destin. Le destin représente une force inéluctable, que même les dieux ne peuvent briser. Il est représenté dans la mythologie par les trois Nornes, créatures féminines siégeant au pied d'Yggdrasil et traçant le futur les Hommes à leur naissance. Il existe des dizaines de mots en norrois pour représenter le destin. Cette force est présente dans chaque action de chaque Homme ou dieu. En découlent des comportements typiques aux scandinaves : premièrement la grandeur, et la fierté d'être un objet aux yeux des forces supérieures. Le scandinave a confiance en lui car il a reçu un don (gaefa, gift en anglais) et se doit de l'honorer en accomplissant sa destinée avec conviction et ambition. Sa réputation est importante car sa famille et ses descendants y sont liés (on parle de hamingja pour le destin de la famille). Les crimes d'honneur et les duel sont donc fréquents. On recourt aux voyants pour connaître son destin et pouvoir l'honorer (le voyant (seer) aveugle, référence à Oðin ? Douteux car il a lui-même a recours aux voyants...). Tout ceci est représenté avec exactitude au cours des différents épisodes, parfois explicitement, parfois implicitement. On ressent avec les personnages la présence des dieux et le poids de la destinée à chaque instant, et en toute chose. Corollaire de ce constat : le Valhöll (ou Valhalla). C'est un large salle flanquée de 550 portes où les guerriers morts au combat festoient chaque nuit en compagnie d'Oðin après une avoir été ressuscités à l'issue d'une journée de combats entre eux. Oðin choisit la moitié des guerriers morts héroïquement au combat sur Terre, et Freyla l'autre moitié. C'est une perspective acceptée et même désirée par les guerriers vikings. La mort est vue comme un passage plutôt que comme une finalité (comme les Celtes), comme le montre le guerrier vieillissant dont tous les frères d'armes sont morts au combat et qui implore Ragnar de le laisser combattre pour qu'il puisse mourir la hache à la main et être emmené au Valhalla.

Enfin, la référence la plus évidente pour l'amateur mais peut-être la moins explicite pour le profane : (F)loki. Dès la première rencontre avec ce personnage énigmatique et imprévisible, Ragnar dit à son fils que Floki fait référence au «dieu» Loki. Mais tout au long de la saison, rien n'est expliqué à propos du personnage, pourtant hautement important.
«Dieu de la discorde»
Loki est le dieu le plus ambigu du panthéon nordique. Sa personnalité est celle qui évolue le plus au cours de ajouts successifs aux textes anciens. D'abord accepté à la cour des Ases, c'est un dieu sans attribution, qui aime jouer des tours aux dieux, ses meilleurs ennemis. Il est à chaque fois attrapé et puni mais ne cesse de les tourmenter. Il est rusé (tel Oðin) mais préfère l'amusement à la connaissance. Il aime semer le trouble plus qu'autre chose, caractéristique à rapprocher des tricksters des Indiens d'Amérique, sorte de paria qui a tendance à la bouffonnerie. Par la suite Loki se révèle bien plus malfaisant (ou plutôt «chaotique») car il joue un rôle majeur lors du Ragnarök (Crépuscule des Puissances, l'Apocalypse chrétienne), la bataille finale entre l'Ordre et le Chaos. En effet, ses enfants sont plutôt monstrueux (exception faite de Sleipnir) : Jormugandr est le serpent géant qui enserre le monde entre ses anneaux, en se mordant la queue (Ouroboros des traditions indo-européennes), et qui combattra et tuera Þor; Hel est la gardienne des mondes souterrains, le monde des morts où elle garde Baldr, le dieu le plus aimé parmi les dieux; Fenrir est le loup géant qui dévore le Soleil et la Lune.

Floki est assurément Loki en déguisement. Bien que les noms soient un peu trop similaires (sûrement un choix éditorial), il est évident que Loki, qui aime se métamorphoser comme Oðin, est apparu sur Terre (Miðgarðr) afin de semer la zizanie parmi les Hommes, sans but précis. Rappelons-nous qu'il n'existe ni diable ni démon du mal, seulement des représentants du Chaos (Loki a en effet des affinités avec les Géants). L'exemple le plus flagrant est lors du deuxième accostage sur les côtes anglaises par Ragnar Loðbrok et ses compagnons. Ils sont rejoints sur une plage par les soldats du roi saxon Ælle. D'abord amicaux, ils deviennent méfiants lorsqu'ils voient les vikings discuter entre eux (sans en comprendre un mot ? Étonnant tant le saxon et le norrois sont proches). Profitant de la tension montante, (F)loki arrache la croix chrétienne que l'un des soldats saxons porte en pendentif. Les armes sont dégainées et le bain de sang est inévitable. (F)loki se réjouit de cette situation même s'il n'en tire aucun bénéfice substantiel, tel un Loki provoquant des querelles chez les dieux.

Voici donc une revue de la série selon l'angle de la culture et de la mythologie. j'ai volontairement omis tout ce qui a trait aux tenues, aux armes et à l'authenticité des personnages en eux-mêmes, mais en tant que série historique il y a tout à parier qu'une certaine rigueur a été apportée aux détails de la "partie visible de l'iceberg" de la culture norroise au VIIIeme siècle.

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dernière MàJ : 24/08/15

sources
Odin et Thor, dieux des vikings, Jean Renaud & Alexis Charniguet, Larousse 2008
Les vikings : culture et mythes, John Grant, Taschen 2008
Les runes : approfondir la divination, Dominique Agnus, Cosmogone 2006

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